Vous êtes de retour parmi les « impatients », un petit nœud de tension entre vos omoplates demeure toutefois persistant à cause de votre dernière expérience dans cette salle. Bon… Afin de retrouver votre calme, prenez une grande inspiration. Soyez sans crainte désormais, car les dangereux réfractaires ont été contrôlés. Oh! Vous êtes tout bleu! EXPIREZ! Voilà! Votre visage reprend une couleur normale. Vous auriez pu perdre connaissance, et par le fait même, l’occasion de découvrir les personnes charmantes (ou presque!) du groupe d’aujourd’hui.
Mine de rien, il nous reste encore de longues heures d’attente avant qu’un sentiment d’épuisement complet nous assaille. Soyez heureux, puisque parmi les gens sur place se trouve un genre particulier « d’impatient » qui nous donne un certain niveau de distraction. Pas toujours agréable, c’est vrai, mais il faut savoir se contenter, car rappelons-nous que le but ultime de toute attente est de vivre un moment intense de malaise intérieur. Découvrons donc les personnes qui vous aideront à y parvenir.
Les conteuses
Vous les reconnaitrez aisément, puisque de façon générale, ce sont ces dames qui aiment tant papoter, du moins, certaines d’entre elles.
À noter : il est vrai qu’en français, le masculin l’emporte sur le féminin. Il est aussi vrai que certains messieurs peuvent très bien appartenir à cette catégorie, donc je devrais en principe dire « Les conteurs ». Je tiens donc à mentionner que le féminin des intitulés est utilisé sans préjudice au masculin. Quoiqu’il peut sembler être un préjudice au féminin… Mais enfin mesdames, soyons honnêtes, la plupart d’entre nous (je n’ai pas dit toutes!) sommes… disons… quelque peu bavardes. Ouf! Enchainons vite!
Les sympathiques
La température, l’âge de vos enfants présents, la gentillesse de la réceptionniste, que des sujets vides viennent en bouche des « sympathiques ». Elles espèrent passer le temps en jasant un peu, cependant la conversation s’éteint vite. La vérité vous la connaissez, et elles aussi : vous n’êtes, ni l’un, ni l’autre, intéressé à échanger des propos insipides avec un inconnu. Le tout se finit donc par un sourire courtois qui, règle générale, s’ensuit d’un léger malaise. Va savoir pourquoi il est gênant de se voir confronté à notre ennui mutuel, c’est pourtant souvent le cas dans un tel lieu.
La généreuse
D’un premier regard, elle peut sembler être une « sympathique ». Quelques secondes de conversation avec cette personne vous plongent pourtant dans un profond embarras, phénomène qui sera assez cocasse pour les autres « impatients ».
« TSÉ ma tante est déjà venue pour une colonoscopie! Ça lui a fait un mal de chien, y parait. Elle avait un cancer avec ben des métastars…»
Il ne vous en faut pas plus pour prendre conscience de votre grave erreur. « Est-elle sérieusement en train de me raconter ça? » penserez-vous en remarquant avec malaise qu’elle a dit métastar au lieu de métastases. En dépit de vos signes rébarbatifs évidents, vous êtes maintenant la victime de « la généreuse » dont le manque d’inhibition incroyable s’ajoute au fait qu’elle ne sait pas interpréter votre regard fuyant ainsi que vos jambes et vos bras croisés. Il ne vous reste qu’une chose à répondre à sa surprenante loquacité n’ayant d’égal que sa familiarité excessive.
« Ahan… »
Je vous suggère une fuite polie vers les toilettes si vous ne voulez pas sortir de là avec la tête qui tourne. Surtout, choisissez une autre chaise à votre retour!
Les marmoneuses
Celles-ci viennent toujours en paire; mère-fille, sœurs ou pire ce sont de bonnes copines! Elles entrent dans la pièce avec un air hautain en jetant un regard condescendant dans la pièce. Leurs yeux semblent vous percer de mépris. Vous vous sentez petit. Elles cherchent sans doute vos défauts physiques, peut-être même aussi ceux de votre personnalité. Les « marmoneuses » sont toujours assises dans des chaises adjacentes afin de mieux se susurrer leurs commentaires aux oreilles. À votre avis, elles scrutent la salle à la recherche d’une cible. Leur complicité est indéniable pour tout le monde. Ce duo infernal vous glace le sang!
Ce que je vais vous dire vous semblera dur, cependant il est temps que vous en preniez conscience… vous êtes paranoïaque! Si c’est la première fois que vous avez un épisode de ce type, c’est que l’attente doit avoir joué sur votre esprit, ou alors la conteuse vous a un peu trop affecté. Comprenez que ces deux personnes, malgré leur expression peu affable, parlent avec discrétion en toute simplicité… Si elles regardent dans votre direction, c’est parce que vous êtes vous-même en train de les dévisager, et peut-être aussi parce que votre braguette est ouverte. Reprenez un peu de contenance, puis détournez-vous d’elles maintenant.
Les intéressantes
Derrière vous, il y a un autre duo, elles ne sont cependant pas nécessairement arrivées ensemble comme les « marmoneuses ». À l’affut de leur paroles, vous demeurez le témoin silencieux de cet entretien comme plusieurs autres personnes qui tendent l’oreille dans leur direction. Nul ne sait comment leur échange a pu devenir aussi captivant, pourtant leur histoire est devenue le centre de l’attention. Ahem! Vous savez que ce n’est pas poli de les écouter…
Bah! À quoi bon résister, puisqu’il s’agit d’une partie intégrante de l’activité d’attendre. Il n’y a qu’une personne pour vous détourner de votre espionnage juvénile…
La vedette
Ce monsieur… Oui, oui, messieurs, il m’est plus souvent arrivé de voir des hommes que des femmes prendre la salle d’attente pour une salle de conférence. Il y a donc ce monsieur de bonne humeur qui reste debout au centre de ses disciples souriants (2 ou 3 « impatients » qui n’ont rien d’autre à faire). Il a une joie de vivre indéniable et partage avec plaisir ses moments de vie. Personne ne peut l’ignorer dans la salle parce qu’il parle très fort. Dès qu’il est appelé, il abrège son histoire d’un signe du doigt, comme s’il en avait pour une minute. Or, lorsqu’il ressort de sa consultation, le plus surprenant arrive : au lieu de quitter cet endroit désespérant, il retourne bavarder avec ses disciples.
Ce simple comportement vous renverse! « Pourquoi? J’aurais pu y aller à sa place, je serais parti tout de suite après, moi », vous indignez-vous. Ne pleurez pas. Il est heureux, lui, dans cette salle. Il a enfin un public. Allez donc prendre une marche dans le corridor, ça vous changera les idées d’ici à ce qu’il se décide à quitter.
À votre retour, je vous glisserai un mot sur le dernier groupe « d’impatient », soit « Les discrets ».