Alors que tous croyaient que cette affaire allait s’éteindre comme une flamme sur le bout d’une allumette, elle s’est plutôt embrasée et fait désormais rage sur les réseaux sociaux.
Dans ce dossier-choc, où un auteur d’horreur, soit Yvan Godbout, et son éditeur Nycolas Doucet (chez Ada), avait été arrêté en mars dernier pour « production et distribution de pornographie juvénile » des suites d’une plainte d’une enseignante outragée par le texte, la couronne a choisi de maintenir « …ses accusations, refusant même aux accusés une enquête préliminaire… ». C’est ce que mentionnait l’auteur LP Sicard, ami et collègue des accusés, dans sa publication Facebook du 11 décembre en invitant les gens à en parler. Quand on pense qu’il y aura bel et bien un procès, il est facile de s’imaginer les réactions de toutes sortes, mais ce n’est pas tout.
En effet, le DPCP (Directeur des poursuites criminelles et pénales) aurait fait jurisprudence en insistant pour que le procès se déroule devant un jury, et non pas face à un juge seulement. Cette décision aurait été prise même si rien n’avait été « …trouvé dans les ordinateurs de l’auteur et de l’éditeur… ». « L’entièreté de la preuve reposerait sur le livre. Sur quelques lignes d’un livre. », explique aussi LP Sicard fortement consterné.
L’aberration frappe donc une fois de plus l’univers culturel et artistique !
Il est primordial de comprendre que cette affaire ne concerne pas uniquement le milieu, car si une telle poursuite se solde par un verdict de culpabilité, il y aura de lourdes conséquences. Certes, une réaction en chaîne s’enclenchera dans le monde des arts et lettres, livres, films, séries télévisées, arts visuels, etc. seront scrutés à la loupe. Quelle sera la limite à ne pas franchir ? En outre, on peut se demander ce qu’il adviendra des œuvres précédemment produites ayant la même teneur. Certains se demandent même si un jugement sera porté sur les amateurs du genre [horreur, policier, voire même drame] ? D’ailleurs, techniquement si vous possédez un livre de ce type, vous seriez potentiellement en possession de pornographie juvénile. La censure est par conséquent une problématique pour chaque citoyen, et non pas une histoire reposant sur les artistes.
La raison est simple, cette liberté artistique s’appuie sur la liberté d’expression et de ce fait sur un droit fondamental humain. En conséquence, nul ne devrait y être indifférent, car cette situation dramatique se passe ici et maintenant. Il faut comprendre que ce verdict construira la société de demain. Dans quel monde espérez-vous voir évoluer vos enfants ?
Cela dit, il peut sembler difficile de prendre position sans savoir ce que contient réellement l’extrait en question.
Hansel et Gretel
C’est sur toutes les lèvres : « As-tu lu Hansel et Gretel ? »
16 avril 2018, je publiais sur Instagram :
« Ma dernière lecture. Forte intrigue. Horreur sans nom. Âmes sensibles s’abstenir. Écriture efficace. Adulte seulement. »
Alors, oui, je l’ai lu. Qu’en est-il de la fameuse scène ? Est-ce si épouvantable ? Oui, la scène en question est intense et explicite. Il s’agit d’une fillette vêtue d’un pyjama qui est en train de satisfaire l’appétence de son beau-père. La suite n’est pas jojo non plus, mais rien n’égal ce passage.
Quelques lignes traumatisantes qui dénoncent la tragédie du monde dans lequel on vit, qui te jette au visage l’horreur vécue par certains enfants et qui te rappelle l’impuissance magistrale de notre société à stopper ces drames. Bref, c’est un roman d’horreur où le beau-père est clairement présenté comme un monstre. D’ailleurs, aucun des monstres du livre ne survit à la fin.
Il n’y a aucun incitatif, alors la question à la base semble être en quoi est-ce de la pornographie juvénile ? C’est de la fiction qui reste loin d’être une invitation à passer à l’acte. Est-ce que les romans comportant du cannibalisme donnent envie de goûter la chair ? Pas vraiment.
À ce stade, pourrait-on alors se demander s’il s’agit de voir si l’auteur a dépassé les bornes. Selon le Code criminel expliqué par Cara Faith Zwibel, LL.B., LL.M. Directrice du programme des libertés fondamentales, « …une défense fondée sur la valeur artistique que la Cour suprême a confirmé doit être interprétée de façon large : “Toute valeur artistique objectivement établie, si minime soit-elle, suffit à fonder le moyen de défense. Tant qu’il produit de l’art, l’artiste ne devrait tout simplement pas craindre d’être poursuivi en vertu du paragraphe 163.1(4).” (Sharpe, para 63) ». Cette affirmation peut être une pente glissante, mais dans le cas présent, aucun enfant n’est réellement impliqué. La possibilité d’une telle manœuvre s’avèrerait donc inutile…
Si la nature même de la créativité est remise en question, plusieurs artistes devront s’inquiéter de la teneur de leur propos. Cependant, au-delà de ce débat, il y a plus grave, parce qu’au centre de cette tempête, il y a un humain : Yvan Godbout.
Je vous laisse sur ses mots (son profil Facebook 6 décembre) :
« On me demande de me taire et d’éviter les réseaux sociaux. Parce que soit j’en dit trop, soit pas assez. Je dois donc laisser les rumeurs les plus horribles glisser sur mon dos, demeurer dans l’ombre comme un coupable, écouter les battements de mon cœur qui déchirent mes tympans. Comme si j’étais une statue de granit sans la moindre émotion, un amas de pierre que rien ne peut ébranler. Je suis pourtant comme vous, fait de chair, de sang et de sentiments. Est-ce que seulement l’un d’entre vous resterait muet et immobile devant une possible condamnation? »
[…] L’affaire Yvan Godbout, ou l’histoire d’une liberté d’expression galvaudée ? […]